Le reste de l’ouvrage est à l’image de cette note introductive. Drôle, souvent. Militant, tout le temps. Gauchisant, parfois jusqu’à l’outrance. Mais à l’heure de la social-démocratie comme horizon indépassable de la gauche et d'une droite médaillée d’or des Jeux olympiques de la triangulation, ce livre est surtout utile. Car comme le disait Joseph Goebbels que Lastelle et Chenu ont le culot de convoquer : « Le jour où les mots n’auront plus de sens, nous aurons gagné ».
Du « triple A » (ce sésame délivré par ces grands humanistes de Moody's et Standard & Poor's) à la lettre V comme « Videoprotection » (le nom si orwellien de la vidéosurveillance), ces redresseurs de gauche devenue trop droitière, traquent et décryptent donc cette novlangue qui, dans tous les discours, a pris ses aises.
Un abécédaire potache et pertinent
Mais ils se révèlent être également de talentueux potaches. Quand ils écrivent par exemple en guise de définition de la « main invisible du marché » : « Bien sûr qu'elle existe. Elle a le majeur dressé » ! Ou encore lorsqu'il disserte sur cette curieuse idée de vouloir « moraliser le capitalisme » : « C'est un peu comme demander à un poisson de faire de la bicyclette, c'est stupide » !
Ils se montrent aussi très pertinents quand ils se penchent sur le vocabulaire issu du management et du monde de l'entreprise comme avec les mots « gouvernance » ou « efficient », cet « anglicisme inutile » qui « signifie juste que l'on veut atteindre l'objectif, mais sans états d'âme » et est utilisé « par extension (...) par des économistes pour décrire un phénomène qu'ils ne maitrisent pas » ! Et quand ils s'attaquent aussi, à l'arme idéologique lourde, aux expressions dont se gargarisent les médias dopés à l'immédiateté et dénués donc de la moindre mise en perspective historique. Il en va ainsi de l'expression « révolution Facebook ou Twitter » : « Toute tentative de qualifier une révolution autrement que par son lieu d'expression géographique (révolution Facebook / des Œillets / du Jasmin / des Roses / orange) correspond à une intention de fixer sa singularité dans un branding moins agressif (que de fleurs !) afin d'en limiter la portée universelle ».
De dangereux « archaïques » Lastelle, Chenu et consorts ? « Les archaïques d'aujourd'hui sont généralement les modernes de demain », écrivent-ils comme une réponse à ceux qui voudraient leur faire cette critique, « Qui aurait pu croire que la nationalisation des banques, comble de l'archaïsme des années 1990-2000, s'imposerait, même en Grande-Bretagne, près de dix ans plus tard ! » Alors non, leur livre est, il faut le répéter, simplement utile. Il fait office de purificateur de l'âme si, par malheur, vous avez été obligé d'écouter en boucle l'intégral de Michel Sardou ou si, pire encore, vous avez eu la malencontreuse idée de lire une note de la fondation Terra nova...
* Antimanuel de guérilla politique - Idées de gauche contre mots de droite. Sous la direction de Jean-Laurent Lastelle et Renaud Chenu. Editions Jean-Claude Gawsewitch. Mars 2012. 160 pages. 14,50 euros.